Prendre de la hauteur sur nos projets pédagogiques…

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Juillet touche à sa fin, et avec lui la plupart des projets pédagogiques de découverte du milieu montagnard (dispositif « Montagnez-Nous ! »).  Une pause bien méritée avant de reprendre fin août les nouveaux accompagnements ou simplement poursuivre ceux en cours et inscrits sur plusieurs années. 

Depuis 2016, ce sont plus de 1 000 bénéficiaires, dans le cadre scolaire, extra-scolaire, de l’insertion et de la formation professionnelle, avec des publics aussi divers que la jeunesse, les familles, les adultes en situation professionnel, les jeunes et adultes sous main de justice, en situation de handicap ou non, qui ont pu découvrir la montagne et son environnement exceptionnel. Inscrits sur le temps long, ces projets mêlent des interventions en salle, des sorties à la journée, et des séjours itinérants où il est question de nuits en refuge, à la belle étoile, sous bâche, dans les arbres ou simplement sous tentes. Et des rencontres avec celle.ceux qui vivent en montagne, de la montagne comme les berger.ère.s, gardien.ne.s de refuge, responsable d’office de tourisme et remontée mécanique, agriculteur.rice.s, forestiers, agents de d’espaces naturels protégés, etc. 

Tou.te.s, ont pu bénéficier d’une pédagogie qui s’appuie sur l’alternance des approches, c’est-à-dire :

… un équilibre entre action concrète et prise de distance, entre implication et explication, entre pédagogie du corps et pédagogie de l’esprit, entre science et poésie, écoute et parole, individuel et collectif. » – Cottereau 2014 

L’éducation à la montagne au service de l’écocitoyenneté ? 

Nous, adultes comme enfants, avons besoin du contact avec la nature. Il est essentiel à notre développement et à notre épanouissement – Collectif Tous Dehors 2017

Du langage à la coopération, en passant par la psychomotricité, l’éveil à la curiosité et à la connaissance de soi, les bénéfices du dehors pour les enfants et les adultes sont nombreux (FRENE 2022; Galvani et Girault 2021; Garrone 2022; Wauquiez 2022). 

Pendant que nous emmenons ces publics dans la nature, les enjeux écologiques continuent, eux aussi, à prendre de l’ampleur : le dérèglement climatique est plus que jamais d’actualité avec les étés où s’enchainent inondations, sécheresses, feux de forêts et tempêtes, et la perte de la biodiversité continue de s’accélérer. Les défis ne manquent pas pour celles et ceux qui entendent participer à résoudre la crise écologique et à s’engager dans la voie de l’écocitoyenneté. 

Quel lien alors tisser entre ces deux constats ? Entre le succès grandissant des activités en nature (et la fameuse reconnexion à la nature), et la détérioration toujours plus forte de notre planète ? L’éducation à la montagne, l’école du dehors et les animations en nature que nous portons toute l’année peuvent-elles être vues comme des réponses ? Comme des démarches engagées ? Participent-elles au développement d’une éco-citoyenneté planétaire ? 

Que ce soit dans le cadre du dispositif « Montagnez-Nous ! », ou dans le projet d’expérimentation de la classe dehors « A ciel ouvert » ou encore dans nos interventions d’éducation au changement climatique menées en 2024, la nature, la montagne et son patrimoine environnemental et culturel, sont des outils, des moyens qui ont comme finalité : 

  • le vivre-ensemble, où l’on apprend à faire société ensemble, en tenant compte de nos différences, qu’elles soient en termes de genre, d’origine sociale, culturelle, de capacité à mettre des mots, etc. 
  • l’éco-citoyenneté individuelle et collective, souhaitant dépasser les gestes écociviques, […] pour accompagner et stimuler le développement d’une écocitoyenneté critique, créative et engagée, capable et désireuse de participer aux débats publics, à la recherche de solutions et à l’avènement d’une écosociété » (Sauvé 2014) 
  • l’« éco-émancipation » : la modernité libérale nous a en effet amené à penser le progrès vers la liberté et les processus d’émancipation comme des arrachements à ce qui nous enferme : la tradition, la communauté et … la nature (Charbonnier 2020; Luyckx 2020). Penser conjointement écologie et émancipation nécessite donc de prendre un chemin inverse et de déconstruire l’idée selon laquelle l’émancipation nous libérerait du terrestre ou des contraintes liées à notre planète et les écosystèmes dans lesquels nous sommes insérés (Charbonnier, Latour, et Morizot 2017).  

Des objectifs (trop ?) ambitieux, qui jouent surtout un rôle de visée, d’azimut, de direction à suivre, sans toutefois définir précisément le chemin à suivre.  

Des jalons nécessaires pour nous aider sur la posture d’animateur et d’accompagnateur.  Des jalons nécessaires pour nous aider dans les « arbitrages », choix pédagogiques à faire lors de la co-construction des projets avec les partenaires éducatifs (enseignant.e.s, animateur.rice.s, éducateur.rice.s). Mais pendant plusieurs années, il a été difficile de rendre opérationnel, concret ces éléments de langage, ce positionnement.  

Le rôle des réseaux EEDD : quand le plat pays nous permet de prendre de la hauteur ! 

En 2017, le réseau français d’éducation à la nature et l’environnement (FRENE) est missionné pour coordonner la recherche-action participative (RAP) « Grandir avec la nature » qui a pour vocation d’étudier les effets des pratiques d’éducation dans la nature sur le développement de l’enfant dans un contexte essentiellement scolaire. 

Il s’agit d’établir les effets identifiables des approches pédagogiques, des lieux et de la durée de l’action éducative sur le développement de l’enfant dans ses multiples dimensions : cognitive, affective, comportementale, existentielle. 

Le terrain de la recherche se déploie dans une cinquantaine d’écoles maternelles et primaires réparties sur une dizaine de territoires en France ainsi qu’en Belgique. Sur chaque territoire, des accompagnateurs (éducateurs à l’environnement et chercheurs) soutiennent les actions des enseignants. 

En Belgique, c’est l’Asbl Ecotopie qui mène cette recherche-action-participative en essayant de mieux comprendre si – et comment – l’éducation par la nature offre des pistes pour sortir nos sociétés de leurs impasses environnementales. Et ainsi interroger les dimensions citoyenne et politique de l’éducation par la nature. Contrairement à la recherche française qui a analysé le lien entre l’éducation par la nature et le développement de l’enfant. 

Le résultat est la publication en 2023 de : 

En avril dernier, lors de notre mobilité européenne en Belgique, qui s’inscrit dans la formation interne de l’ensemble de l’équipe et des membres du CA, il était évident de les rencontrer pour en savoir plus sur cette étude et les résultats obtenus. 

Sans rentrer dans le détail des résultats, que vous pouvez consulter ci-dessus, il nous a semblé intéressant de retenir deux éléments : 

Le premier est la grille de l’écocitoyenneté articulée autour de cinq dimensions : 

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Une grille d’entrée pour orienter son projet, son intervention, pour aider à trouver un équilibre, une alternance, autour des 5 dimensions. Qui doit pouvoir mettre en lumière la, les dimensions que nous utilisons le plus souvent. Et une, des dimensions que nous mettons de côté. 

Les cinq dimensions de l’écocitoyenneté ; elles-mêmes subdivisées en quatre catégories qui sont, elles aussi, des éléments supplémentaires pour définir l’écocitoyenneté. Au total, ce sont donc 20 pistes pour travailler l’écocitoyenneté qui ont été identifiées, à lire et à interpréter de manière dynamique et non linéaire. 

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Le second élément, les trois « maitres » qui participe à notre éducation

du latin « educate » veut dire nourrir, et « educere » : tirer hors de, conduire vers… en un mot : élever.  

Nourrir et élever…  

Trois « maitres » que sont : les choses et les milieux (l’écoformation), les autres et la société humaine (hétéroformation) et soi (autoformation) (cf. ci-dessous).  

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L’environnement forme au moins autant qu’il est formé ou déformé. Le terme écoformation veut traduire et explorer cette réciprocité […]. Ce n’est qu’en sachant comment l’environnement met en forme que nous saurons comment former un environnement viable et durable. – Cottereau et Bachelart 2003 cités dans Planche 2017

Explorer l’écoformation c’est conscientiser comment sommes-nous affectés, touchés, formés, éduqués par la terre : par ses climats, ses régions et ses éléments. – Galvani 2005 cité dans Andreux 2005

Penser [l’éducation à la montagne] au regard de l’écocitoyenneté ou de l’éco-émancipation, c’est inscrire [notre travail] au cœur des grands enjeux de société. C’est penser conjointement notre relation à la nature, la réalité du dépassement des limites planétaires et les enjeux de justice sociale.  

L’éco-émancipation, c’est penser collectivement la reliance, l’ancrage dans le terrestre et la nécessaire transformation de nos modes de vie et des rapports de force pour répondre à l’urgence sociale et écologique. – Ecotopie dans « De l’expérience en nature à l’écocitoyenneté » – 2023